Les classes prépas valent-elles encore la peine ?

Le Monde.fr | 02.11.2015 | Par Eric Nunès………………..

  En perte de vitesse, et objets de critiques récurrentes, les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) représentent-elles toujours un choix pertinent à l’heure de choisir son orientation dans le supérieur ?

Cela fait plusieurs années que le modèle connaît un repli : des classes sont supprimées, les effectifs stagnent, avec environ 85 000 places au total pour les deux années de cursus. Surtout, elles sont devenues une voie d’accès minoritaire aux établissements les plus prestigieux : seuls 40 % des élèves en sont désormais issus, tandis que se multiplient les filières d’admissions parallèles sur concours ou sur titre.

Les classes prépas sont par ailleurs vivement critiquées pour leurs difficultés à accueillir sur leurs bancs des jeunes issus de milieux socio-économiques variés. Alors que les politiques successives ont fortement accru le nombre d’étudiants du supérieur, et que François Hollande vient de faire sien l’objectif d’y amener 60 % d’une classe d’âge, les CPGE font figure de mauvais élèves : elles accueillent près de 50 % d’enfants de cadres, contre seulement 6,5 % d’enfants d’ouvriers.

 

Favoriser les plus favorisés

Certes, « les causes du déséquilibre sont présentes bien avant l’arrivée des lycéens dans l’enseignement supérieur », souligne Sylvie Bonnet, présidente de l’Union des Professeurs de classes préparatoires scientifiques, et l’auto-censure, tout comme les idées reçues sur les prépas, jouent également. Mais l’écart sociologique s’accentue entre le lycée et la prépa : en classe de 1ère et terminale scientifique, premier fournisseur des contingents d’étudiants en prépa, la diversité est meilleure, avec 36 % des élèves dont le père est cadre, et 17 % dont le père est ouvrier.

Quant au cursus en prépa lui-même, il semble favoriser les plus favorisés vers l’accès aux établissements les plus cotés. « A l’école normale supérieure, par exemple, 80 % des élèves aujourd’hui sont recrutés dans les seules catégories des cadres supérieurs et professions intellectuelles », pointent les sociologues Stéphane Beaud et Fabien Truong, dans L’université désorientée (Éditions La découverte). Et la plupart des écoles de commerce bien que « fermement attachées au principe du concours républicain, détiennent le » record « de la plus forte hérédité sociale », poursuivent-ils.

Attractivité persistante

La sélection à l’œuvre dans les prépas est d’autant plus discutée que des écoles faisant le choix d’une plus grande hétérogénéité parviennent à d’excellents résultats. Les instituts nationaux des sciences appliquées (groupe INSA) recrutent ainsi, chaque année, 2 200 bacheliers parmi 14 000 candidats. Pas de concours, mais « une volonté d’ouverture sociale et d’aller chercher dès le bac les bacheliers méritants », explique le président du groupe, Eric Maurincomme, également directeur de l’INSA Lyon. Et un fonctionnement qui se veut différent de la mise en compétition qui prévaut dans de nombreuses classes prépas : « nous encourageons les étudiants à développer les valeurs d’entraide et de solidarité. Notre objectif est que tout le monde réussisse et de n’éliminer personne », assure-t-il. Utopie ? Le classement 2015 des écoles d’ingénieurs de L’Usine nouvelle classe l’INSA Lyon à la quatrième place, devançant les prestigieuses Centrale Paris et Ecole des mines Paris Tech.

La perte de vitesse et la difficulté de renouvellement social des prépas ne nuisent pas à leur attractivité : en 2013, 55 000 lycéens les ont placés en tête de leurs vœux d’orientation sur le système Admission post-bac, et ils étaient trois mille de plus en 2015, pour 45 000 places en première année, selon le ministère de l’éducation nationale. Cette hausse est à relativiser du fait du nombre croissant de candidats sur Admission post-bac (APB) durant cette période, mais il n’empêche : les prépas restent largement perçues comme « la filière d’élite », constate George Asseraf, directeur de l’Onisep et inspecteur général de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche.

Près de 15 000 euros de coût de revient

A l’heure où le chômage des jeunes renforce l’inquiétude parentale sur l’orientation, les classes prépas publiques, soit la grande majorité, constituent un choix à la fois rassurant et peu coûteux : elles viennent de perdre leur caractère de gratuité pour les non-boursiers, mais l’inscription y est au même prix qu’à l’université (184 euros en 2015-2016), pour un nombre d’heures de cours, un taux d’encadrement et un suivi bien plus importants. Le coût de revient pour l’Etat approche en effet 15 000 euros par élève de prépa et par an, soit presque un tiers de plus que pour un étudiant à la fac.

Si l’objectif final est d’intégrer une grande école, le passage par la prépa évite de financer les deux années de « prépas intégrées » de nombreuses écoles, ou un coûteux bachelor, diplôme en trois ans d’origine anglo-saxonne. La prépa demeure aussi une voie d’accès moins aléatoire vers ces établissements que la plupart des admissions parallèles. Reste que l’échéance ne sera que retardée : à moins d’intégrer Normale Sup ou Polytechnique, qui rémunèrent leurs étudiants, les grandes écoles accessibles par la prépa coûtent plus cher que la fac. Il faut compter 610 euros par an pour une école d’ingénieur comme l’INSA, plus de 14 000 euros par an pour une école de commerce comme l’Edhec (somme à laquelle s’ajoutent 2 400 euros de frais d’inscription).

La présence de prépas dans 448 lycées, y compris dans de nombreuses villes moyennes, participe aussi de leur attrait : « Elles permettent à des lycéens de poursuivre des études prometteuses en restant chez leurs parents, sans avoir à envisager un déménagement et les coûts induits », souligne François Cansell, président de la Conférence des Directeurs des Ecoles Françaises d’Ingénieurs.

Apprentissage de l’excellence

Les classes préparatoires sont aussi appréciées pour leurs enseignements pluridisciplinaires, évitant de se spécialiser dès après le bac : « Les élèves y conservent une large palette de choix dans leurs formations », résume Laurent Mahieu, président de la Commission des titres d’ingénieurs. Enfin, les classes préparatoires conservent une aura d’excellence. « On y apprend les bases scientifiques et littéraires nécessaires aux plus pointus des projets professionnels. On y acquiert une capacité à travailler vite, à analyser, à synthétiser comme à résister au stress. Des acquis qui serviront durant la scolarité mais également dans toute la vie active », fait valoir Francis Jouanjean, délégué général de la Conférence des Grandes écoles.

Cependant, cet apprentissage de l’excellence n’est pas adapté à chaque lycéen. Si les classes prépas ne recrutent pas seulement des lycéens brillants (30 % des entrants ont obtenu le bac avec une mention « assez bien », ou aucune, fait valoir la Conférence des grandes écoles), toutes exigent un fort investissement de leurs élèves, qui devront durant deux années résister à des semaines de plus de 60 heures de travail, sous le contrôle serré de leurs professeurs. « Des années intenses », promet Sylvie Bonnet. Au risque, dans certaines prépas, de briser les plus fragiles.

« Force de travail »

Si les prépas résistent aussi bien à une offre de formation qui se développe tout comme aux critiques dont elles font l’objet, c’est surtout parce qu’elles font figure de filière « sûre » : alors que le taux de réussite d’une licence en trois ans est inférieur à 30 %, après deux années de CPGE, le taux d’intégration dans les écoles d’ingénieurs atteint 78 %, et 67 % dans les écoles de commerce, selon la conférence des Grandes écoles. Et ceux qui échouent obtiennent des équivalences pour rejoindre une troisième année de licence à l’université.

L’avantage offert par les prépas à l’entrée dans le supérieur ne se maintient toutefois pas forcément par la suite. Leurs élèves sont-ils meilleurs à l’heure de la remise du diplôme ? « Deux cursus différents aboutissent forcément à des profils différenciés, reconnaît Laurent Mahieu, côté ingénieurs. Les anciens de prépas sont plus forts en connaissances fondamentales, tandis que les autres ont une formation plus appliquée. »

Une fois sur le marché de l’emploi, la valeur ajoutée que laisse une ligne de classe préparatoire sur un curriculum vitae est appréciable, sans être déterminante : « Cela révèle du candidat une force de travail et d’assimilation, une capacité d’analyse comme de mobilisation sur du long terme », relève Dominique Roux, associé du cabinet de conseil en recrutement Rh Partners. Mais selon lui, à diplôme égal, le passage par la case prépa ne garantit pas de bonus salarial.

Petite histoire de la « voie royale »

« La voie royale », qui mène du bac (souvent avec mention) aux grandes écoles, en passant par les classes prépas, est bien mal nommée. Pour des raisons historiques notamment. En effet cette machine à former les cadres de la nation, la France la doit en grande partie à Napoléon qui, au début du XIXe siècle, entérine le principe de formation des élites au sein d’écoles spéciales. Un processus amorcé durant la Révolution Française. Plus de deux cents ans plus tard, ce système d’enseignement supérieur à deux voies persiste : des universités accessibles à tous les bacheliers d’un côté, les prépas sélectives suivies des grandes écoles de l’autre. Un dispositif ségrégatif qui ne fait pas l’unanimité.

Dès 1953, Pierre Mendès-France, alors député de l’Eure, tente de « réduire les séparations » entre grandes écoles et universités. En vain. Dans les années 1970, le programme commun de la gauche tente de relancer l’idée d’un rapprochement. Sans plus de succès. En 2010, c’est au tour de Vincent Peillon, eurodéputé socialiste, d’exiger la suppression des grandes écoles, qu’il qualifie de coûteuses, inefficaces, endogames. Sa nomination, deux ans plus tard, à la tête du ministère de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur sera cependant sans effet sur cette filière.

 

L’ARTICLE ORIGINAL SE TROUVE SUR LE SITE DE 

www.lemonde.fr

http://www.lemonde.fr/campus/article/2015/11/02/les-classes-prepas-valent-elles-encore-la-peine_4801087_4401467.html