le vivant : un droit des arbres ?

La notion de droit des arbres peut avoir deux sens. Le premier serait l’impératif de respecter leur intégrité par un principe de justice à leur égard, tout comme on parle des droits de l’homme. Le second désignerait l’ensemble des règles juridiques qui concernent les arbres. En bref, pour poser plus précisément la question, les arbres ont-ils des droits naturels et ceux-ci peuvent- ils se traduire dans le droit positif ?

DROIT DES ARBRES : LE CAS DE MINERAL KING

Le premier argument à l’encontre d’un droit des arbres consiste à trouver ridicule le fait de donner des droits à des entités qui ne disposent pas de volonté, n’ont pas de devoirs, ne peuvent être considérés comme responsables, ne peuvent pas passer de contrat et ne peuvent recourir à la justice pour faire valoir leur droit.  Si ces arguments semblent frappés au sceau du bon sens, ils résistent mal à l’analyse.

HÊTRE DE DE BAYEUX

En 1970, l’US Forest Service autorise Disney à créer une vaste zone de loisir « Mineral King « au cœur de la Sierra Nevada. Le « Sierra Club », l’une des plus puissantes et plus anciennes associations écologiques américaine, qui compte aujourd’hui près de 2 millions d’adhérents, dépose un recours, arguant que le projet menace l’une plus belle zone naturelle des Etats-Unis, avec des sequoias centenaires . Le tribunal déboute ce recours. Celui ci considère qu’aucun des membres du Sierra Club n’est directement lésé par l’opération et qu’en conséquence l’association n est pas fondée pour ester en justice.

En 1972 parait, dans la Southern California Law Review, un article du professeur Christopher D. Stone intitulé : Should trees have Standing? Toward legal rights for natural objects

UNE POSSIBILITE JURIDIQUE ?

L’argumentation du professeur Stone est incisive. Il rappelle comme la justice n’a cessé de progresser dans la reconnaissance des droits des enfants, des femmes, des Noirs, des Indiens, des étrangers. Il veut montrer que l’heure est venue de reconnaitre un droit des arbres, faute duquel la justice ne pourrait jamais faire barrage aux atteintes à un milieu naturel, par manque de bases légales, comme dans le cas de Mineral King.

Pour le professeur Stone , dès lors que ces droits des arbres seraient reconnus, il suffirait de reproduire le mécanisme judicaire qui s’applique aux enfants mineurs, à savoir nommer des représentants tuteurs de forêts ou de rivières, des associations écologistes par exemple, qui pourraient aller en justice au nom des objets naturels, devenus sujets de droit. La Cour Suprême ne rejeta d’ailleurs qu’à une courte majorité des juges la proposition du professeur, portée en appel par le Sierra Club

En d’autres termes la question de la faisabilité juridique d’un droit des arbres n’ est manifestement pas insurmontable, même si elle soulève des questions encore complexes. Que faut il protéger, alors que l’exploitation forestière est massive ….

Dès lors c est bien à l’autre question, de nature éthique et philosophique qu’il faut se confronter. Faut il reconnaitre des doits aux arbres ?

DROIT DES ARBRES RECONNAITRE DES DROITS AU VIVANT ?

CHENE D’ AVESAN, GIRONDE

Le débat est ardu, a la fois métaphysique et moral , qui s’inscrit dans un débat plus large sur les droits du vivant et sur la relation de l’homme à la nature. La question est manifestement dans l’air du temps. En témoignent, la présence au Jardin des plantes de Paris ou ailleurs de groupes qui, au petit matin, viennent enlacer les arbres  pour se régénérer au contact de leur force vitale… En témoigne le programme du bac de français de première qui ajoute au jardin de  Saint-Sauveur-en-Puisaye de Colette, « mes forêts »d’Hélène Dorion et qui propose comme épreuve du bac « les hommes arbres » de Sylvie Germain .Si les signes sont nombreux, nos sociétés hésitent toutefois à franchir le pas d’ une reconnaissance de la nature pour elle-même, qui amènerait un véritable bouleversement philosophique. Des philosophes influents comme Michel Serres, Aldo Leopold ou Hans Jonas ont prôné cette rupture en cherchant à mettre fin à tout anthropocentrisme et reconnaissaient un principe de vie qui dépasse l’être humain, accusé d être devenu plus parasite que symbiote. Nos cultures occidentales connaissent cependant le vertige face une telle idée, qui pourrait signifier tout à la fois la fin de l’anthropocentrisme et la fin de l’humanisme.

Alors si ce débat ne peut trouver réponse, quel chemin emprunter. ?

TRANSFORMATION AMBIGUE DU DROIT

PLATANE CENTENAIRE

En réalité le chemin est déjà en train d’ être tracé et nos sociétés ont trouvé le moyen d’avancer sans passer par une rupture culturelle majeure. D’abord premier lieu parce que l’on peut protéger la nature au nom de l’humain, pour permettre aux générations futures de disposer d’un environnement mieux préservé. En second lieu parce que l’on peut multiplier des statuts administratifs protecteurs comme le sont déjà les de parcs naturels nationaux ou régionaux, les forêts domaniales, les réserves. Enfin parce que se développe une législation répressive. En France, l’abattage sauvage d’un arbre centenaire ou d’une espèce rare est désormais passible d’une amende de 20 000 euros et d’une peine de prison de six mois. En réalité les législations coercitives n’ont paradoxalement pas besoin de se justifier, ni de dire clairement la nature du principe qui les inspire. Il suffit que l’acte paraisse injuste, sans l’on sache pour autant si l’on condamne une simple incivilité ou une profanation de la nature et de ses droits !.

En bref, ni les mesures administratives, ni les législations punitives n’ont eu besoin de mettre vraiment au clair les principes éthique qui les inspirent, et moins encore de résoudre le débat philosophique central. Leur avancée semble esquisser lentement un droit des arbres, sans avoir à franchir le pas vertigineux qui l’assumerait.

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