Suite à la victoire de son parti, l’AKP (partie de la justice et du développement) aux élections législatives de 2002, Recep Taiji Erdogan devient Premier Ministre de la République de Turquie en 2003. Si dans le passé, ses engagements dans des groupes islamistes et nationalistes lui avaient valu d’effectuer un séjour de 10 mois en prison il était déjà avant d’accéder au poste de première ministre un personnage politique de premier plan. Il a notamment été maire d’Istanbul où il avait engrangé une certaine popularité avec l’amélioration du réseau électrique de la ville, la mise en place d’un métro et la révélation de scandales de corruption.
Lorsqu’il arrive au pouvoir en 2003, ses prises de positions et ses mesures ont dans un premier temps un caractère plutôt réformateur et pro-européen. Il s’inscrit notamment dans la continuité du dépôt de la candidature de la Turquie visant à intégrer l’Union Européenne et en engageant un certain nombre de réformes telles que l’abolition de la peine de mort, la rédaction d’un nouveau code pénal ou encore le soutien du plan onusien “Annan” visant à réunifier Chypre (et ce alors même que la Turquie en réclame la partie septentrionale).
En 2007, un referendum voté à 69% des suffrages fait passer la Turquie sous Erdogan d’un régime parlementaire à un régime présidentiel en décidant de l’élection du président au suffrage universel avec un mandat ramené à 5 ans.
A la fin des années 2000 d’importantes réformes économiques permettent au pays de renouer avec une forte croissance. C’est alors qu’Erdogan tente de se détacher de la laïcité kémaliste et donne un tournant religieux sunnite plus affirmé à la Turquie. Il ne se définit cependant pas comme islamiste mais comme démocrate conservateur ou démocrate musulman. Le port du voile dans les universités finit notamment par être autorisé, la consommation d’alcool est contrôlée et c’est la fin de la mixité obligatoire à l’école.
La Turquie sous Erdogan demeure cependant un fort allié des Etats-Unis qui possèdent d’ailleurs une base militaire importante sur le territoire turc.
En 2009 débute le procès Ergenekon. Il s’agit d’une affaire extrêmement complexe et controversée impliquant des réseaux d’extrême droite et de gauche, des militaires, des universitaires et des journalistes, accusés de conspiration contre l’Etat et contre le parti AKP. L’affaire ayant commencé en 2007 mène à l’arrestation de 300 personnes. Elle favorise un mouvement de nettoyage des élites laïques et militaires qui s’opposent à Erdogan.
Le tournant autoritaire se concrétise peu à peu et la répression se fait de plus en plus brutale. En mai 2013 des riverains protestent contre la destruction du parc Taksim Gezi à Istanbul. Les manifestations finissent par se généraliser dans de nombreuses provinces du pays, servant à dénoncer les nombreuses dérives autoritaires et les privations de liberté imposées par le régime. La répression s’est alors violemment exercée. Plus de 4000 manifestants ont été blessés et 6 personnes sont décédés durant ces manifestations.
En 2014, Erdogan devient néanmoins le premier Président de la Turquie à être élu au suffrage universel, et ce dès le premier tour. Cependant, les élections législatives suivantes ne fournissent pas à l’AKP de majorité absolue en 2015. Cela est notamment dû au score du parti pro-Kurde qui dépasse pour la première fois le seuil de 10% et rebat les cartes du jeu politique. Grâce à une stratégie alliant musellement des médias, suppression des chaînes de télévision de son principal opposant, (Fethullah Gülen) et jeu sur les sentiments d’instabilité et d’insécurité (provoqués notamment par les attentats perpétrés par l’Etat Islamique sur le territoire turc), Erdogan dissous la chambre à peine élue et organise des élections anticipées qui permettent à son parti l AKP de retrouver la majorité absolue et de mettre en œuvre son programme.
En juillet 2016 une tentative de coup d’état militaire qui prétendait mettre fin à la dérive autoritaire du régime échoue. L’épisode provoque la mort de près de 300 personnes. Le Président turc accuse notamment son opposant Fethullah Gülen, exilé aux Etats-Unis, d’être l’instigateur de ce putsch manqué. Fomenté par le “Conseil de la paix dans le pays” et impliquant en apparence la confrérie Gülen, le coup d’état avorte. Il a conduit en sens inverse à un raidissement du régime et à l’instauration de l’état d’urgence suivi d’un mouvement de purges massives. La garde présidentielle a été dissoute. Près d’un tiers des généraux turcs ont été arrêtés ou font l’objet d’une enquête tandis que, 15000 enseignants ,12 000 policiers, 3000 magistrats ont été suspendus. Des centaines d’associations, des dizaines de journaux, des chaines de radios et de télévision ont été fermées
En avril 2017 le président Erdogan a tenté de donner une meilleure assise légale à son pouvoir en réalisant un référendum qui renforçait le pouvoir présidentiel. Le poste de premier ministre a été supprimé. Le calendrier électoral a été modifié pour obtenir la coïncidence des élections présidentielles et des élections législatives, portées elles aussi a cinq ans. Le contrôle de l’exécutif sur la magistrature été renforcé.
Le “oui” l’a emporté de peu avec 51,41% des suffrages exprimés. Les Turcs de l’étranger ont majoritairement approuvé le référendum contribuant ainsi à la courte victoire d’Erdogan. Des opposants ont dénoncé des élections truquées mais la justice a refusé d’examiner leur recours. Marquant une fracture entre une Turquie moderne et pro-européenne, et une Turquie plus conservatrice, la carte de Turquie montrant les résultats permet vraiment de séparer deux zones : les régions rurales ont davantage voté oui et les grandes villes comme Istanbul ou Izmir se sont prononcées en défaveur de l’amendement constitutionnel.
Ainsi, le régime de la Turquie sous Erdogan ne cesse de se durcir depuis sa prise de pouvoir au début des années 2000, adoptant une orientation autoritaire et religieuse. Des organisations telles que Reporters sans Frontières et Amnesty International dénoncent régulièrement la situation en Turquie, la violence étatique, le recul des droits et la répression à l’encontre des médias et des milieux universitaires.
Sur la scène diplomatique, Erdogan s’emploie dès le début de la crise syrienne à essayer de convaincre Bachar al Assad de mettre en place des réformes afin de calmer les révoltes, ce que le dirigeant syrien ne fera pas. Ainsi, Ankara s’engage dans un premier temps pour faire tomber le régime alaouite. L’alliance de la Turquie avec les Etats-Unis, bien qu’étant un élément clé depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, faiblit : les positions de Washington et d’Ankara sont radicalement différentes sur la question kurde. La Turquie refuse en effet de reconnaître le Kurdistan turc et redoute la prise de pouvoir des Kurdes qui gagnent en influence grâce à leur combat contre Daesh. Cela l’a donc menée à se ranger plutôt du côté de la Russie même si les relations entre les deux pays ont connu des troubles, en particulier en novembre 2015. La Turquie avait alors abattu un chasseur russe qui avait violé l ‘espace aérien turc. L’avion russe participait à des attaques contre les convois routiers de pétrole vendu par DAESH via la Turquie . Poutine avait alors accusé le gouvernement d ‘Erdogan de permettre et protéger les ventes illégales de pétrole de DAESH et avait dénoncé l ‘implication personnelle directe d’ Erdogan dans le trafic. Après de vives tensions les deux pays ont cependant fini par se rapprocher .
Aujourd’hui, la République de Turquie compte près de 80 millions d’habitants (parmi lesquels environ 2 millions de réfugiés syriens). La Turquie est un des pays qui comptent le plus de réfugiés syriens depuis le début de la guerre civile. Cela est devenu un véritable levier de négociations avec l’UE afin d’obtenir non seulement des fonds de plusieurs milliards d’euros, mais aussi, une certaine légitimité et une crédibilité qui sont nécessaires à Erdogan pour parfaire son autorité sur la région du Proche et Moyen-Orient. Faire partie des principaux protagonistes lors de la conférence d’Astana pour statuer sur le cessez-le-feu en Syrie était primordial pour le régime.
Enfin la question de l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne constitue l’une des toiles de fond de l’évolution Turque depuis la fin du XX siècle. En 1987 la Turquie avait présenté sa candidature. En 1995 elle était entrée dans une union douanière avec l’Europe qui est maintenue jusqu’ aujourd hui. En 1999 le principe d’adhésion de la Turquie avait fait un très grand pas avec l’acception de sa candidature par l’Union. Le principe était alors établi : dès lors que la Turquie se mettrait en conformité avec les acquis communautaire elle pourrait faire partie de l’Union
Officiellement la procédure d’adhésion est encore en cours. En réalité depuis l’arrivée au pouvoir d’Erdogan c’est plutôt vers un divorce que vers un mariage que l’Europe et la Turquie s’acheminent. L’union qui avait tant laissé entendre à la Turquie qu’elle deviendrait membre a été la première à s’en détourner créant une vaste frustration turque. Le glissement de la Turquie d’Erdogan vers une certaine réislamisation et un autoritarisme a accru le fossé. Aujourd hui la perspective d’adhésion est extrêmement faible, entravée encore par le refus du gouvernement turc de reconnaitre l’existence du génocide arménien, par la possibilité du rétablissement en Turquie de la peine de mort, par le problème Kurde, par la politique de la Turquie dans le conflit Syrien. Erdogan lui-même menace de mettre fin à la demande d’adhésion et a donné un ultimatum à l ‘Europe à horizon 2023 pour une l’entrée de la Turquie à laquelle plus personne ne croit.
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