Depuis plus de 2010 ans la crise de la dette grecque pèse sur le système financier international comme une menace permanente. Au début de mai 2017 un pré- accord a été établi entre la Grèce et ses créanciers, destiné à lui éviter un défaut de paiement pour l’échéance d’un remboursement de 8 milliards d’’euros à venir à la fin du mois. Au-delà de l’opération ponctuelle c’est vers un accord beaucoup pour large que la Grèce et ses prêteurs semblent s’acheminer. Après de longues années de vaches maigres pour la Grèce il n’est pourtant pas impossible que le pays commence à entrevoir le bout du tunnel.
La crise de la dette
La décennie 2000 avait pourtant commencé sous de bons auspices pour la Grèce. Le pays semblait alors l’un des grands bénéficiaires de la création de la zone euro, avec une croissance économique exceptionnelle. Les jeux olympiques de 2004 symbolisaient apparemment cette réussite grecque. La dynamique de rattrapage semblait amorcée, la Grèce paraissait bien partie pour combler son retard et les banques privées se précipitaient pour souscrire aux emprunts grecs.
En 2008 la crise économique mondiale des subprimes a porté un coup d’arrêt brutal aux années d’or précédentes. La Grèce à l’instar de l’Espagne, de l’Irlande et du Portugal, à ce moment, est rentrée dans une période de récession et de crise de la dette publique.
Là où les trois autres pays ont pourtant dépassé, au moins momentanément et au prix le plus lourd, la crise financière aigüe, la Grèce, elle, n’a pas pu échapper au piège du surendettement.
Une crise aigüe qui avait mené la Grèce au bord de la rupture
La récession de 2008 a précipité la Grèce, comme le Portugal, l’Espagne et l’Irlande sur une pente dangereuse : la récession a mécaniquement aggravé le déficit, les gouvernements ont continué à emprunter pour faire face à leurs besoins et pour tenter d’enrayer la crise, malheureusement sans grands résultats.
En 2010 le niveau d’endettement de ces pays dépassant trop largement le PIB, les remboursements sont devenus si importants que les états se sont trouvés au bord du collapse financier. La décote brutale de la note de confiance attribuée aux emprunts grecs par les agences de notation spécialisées a déclenché la crise. Sous la pression de l’Allemagne et face à la menace bien réelle de non-paiement et d’effondrement du système financier européen, les autorités européennes ont abandonné les stratégies de relance et imposé partout des politiques de rigueur, tandis que des plans d’aides aux pays en difficulté ont été élaborés. Un fonds de soutien européen, destiné à financer ces aides exceptionnelles a été créé, remplacé en 2012 par le mécanisme européen de stabilité, le MES, autorisé à lever jusqu’ à 700 milliards d’euros sur les marchés
La Grèce a ainsi bénéficié en 2010 d’un prêt exceptionnel de 110 milliards d’euros soit plus d’un tiers de son PIB, pour lui permettre de maintenir la tête hors de l’eau. La contrepartie a été l’adoption de politiques d’austérité imposée par les bailleurs de fond.
La logique des créanciers a prévalu. Cette logique est toujours là même partout. Elle vaut pour les relations entre pays surendettés et institutions prêteuses. Il s’agit d’obliger l’emprunteur à dégager les moyens d’un remboursement, c’est à dire à équilibrer ses recettes et ses dépenses budgétaires en lui imposant de réduire ces dernières.
À cette fin les créanciers ont exigé une limitation drastique des dépenses publiques, inévitablement synonyme de chute de l’investissement public, de gel des salaires des fonctionnaires et des retraites, de privatisations, de coupures dans les budgets des ministères. Les pays débiteurs non pas eu le choix, pas plus que ne l’avaient eu dans les années 1980 les pays du tiers monde face aux plans d’ajustement structurels du FMI, dans un environnement toujours marqué par le monétarisme.
Les limites de la politique d’austérité
Cette vaste opération financière, semblable à elle qui avait concerné l’Amérique latine dans les années 1980 n’est pas dénuée d’ambiguïté.
Ambiguïté en premier lieu parce qu’elle a surtout permis que les banques privées créditrices soient remboursées. La dette grecque était en grande partie une dette à l’égard des banques privées européennes. Le Crédit Agricole à lui seul disposait alors de 25 milliards d’euros de créances sur la Grèce. Avec les nouveaux prêts reçus, la Grèce a remboursé les banques privées prêteuses tandis que la dette devenait ainsi une dette de la Grèce à l’égard du Fonds européen de soutien et à l’égard du FMI.
Ambiguïté en second lieu parce que personne n’a puisé sur des réserves existantes, pour prêter. Le fonds européen, lui-même, plus fiable que l’état grec a emprunté sur les marchés financiers les sommes qu’il a prêtées à la Grèce, l’Allemagne et la France étant les principales garantes de ces emprunts du MES. En bref, un nouvel étage MES+FMI a été ajouté à l’énorme pyramide de la dette internationale
Ambiguïté enfin parce que les politiques d’austérité imposées par les prêteurs sont tout autant poison que remède. La politique d’austérité a plongé la Grèce dans une violente récession, le PIB reculant de 27 % entre 2010 et 2015 tandis que le chômage passait de 12 à 27 %., Il a fallu attendre 2017 pour que le pays renoue avec la croissance. Entre temps la dette grecque a grimpé à près de 180 % du PIB, posant de nouveau la question de la capacité de remboursement de l’Etat grec.
Manifestation grecque de protestation contre l ‘austérité
La marge de manœuvre est étroite. La population grecque estime à juste titre qu’elle a déjà payé dans sa chair les conséquences des spéculations financières internationales qui ont déclenché la crise mondiale et a montré qu’elle était prête à la rupture. Les pays prêteurs et en premier lieu l’Allemagne, considèrent que l’effort financier de soutien à la Grèce ne doit pas être un puits sans fond,
Après avoir frôlé le Grexit la Grèce est péniblement rentrée dans le rang
La Grèce a en effet été à deux doigts de sortir de l’Union. En janvier 2015 Alexis Tsipras arrive au pouvoir, porté par le mouvement de protestation Syriza. L’été 2015 est tumultueux. Le 27 juin la renégociation de la dette échoue, entre d’un côté les autorités européennes et le FMI et de l’autre le gouvernement grec d’Alexis Tsipras. Le 28, l’Etat grec ferme les banques, interdit à chaque grec de prélever plus de 60 euros par jour sur son compte et annonce le défaut de paiement de la Grèce sur une échéance immédiate de 1,5 milliard d’euros à rembourser au FMI. Simultanément Tsipras lance un referendum éclair sur l’acceptation ou le rejet par la population grecque du plan des créanciers. Pour beaucoup, le non grec signifie une possible sortie de l’Euro et le risque d’un basculement de la Grèce vers un chaos monétaire et financier. Pourtant, le 5 juillet, 61% des grecs votent non. Dans les jours qui suivent Tsipras effectue une volte-face stratégique. Le premier ministre grec signe un accord avec les créanciers de la Grèce, aussitôt dénoncé par son aile gauche tandis que ses ministres les plus radicaux démissionnent en protestation.
Mis en minorité Tsipras démissionne le 20 août mais provoque une élection législative anticipée que son parti Syriza -débarrassé des contestataires- remporte le 20 septembre, permettant le retour de Tsipras au poste de premier ministre et le maintien de l’accord signé avec les créanciers. La Grèce a ainsi échappé à l’inconnu et a obtenu dans cette curieuse partie de poker menteur un nouveau prêt de 86 milliards d’euros.
L’épisode de l’été 2015 a posé la question de la rupture entre la Grèce et ses créanciers et de la sortie de la zone euro. Une telle solution, où se rejoignent souvent souverainistes et gauche radicale reste aujourd’hui encore la toile de fond des négociations. La population grecque excédée par l’austérité était manifestement prête à tenter l’aventure en 2015. Il n’en reste pas moins probable que la sortie de l’euro et la déclaration d’un moratoire grec sur la dette s’accompagneraient de la fuite des capitaux, de la difficulté à créer une nouvelle monnaie. On peut supposer que cette nouvelle monnaie se déprécierait à l’instant même où elle serait créée, tandis que l ‘économie serait condamnée à l’hyper inflation et à la récession. Les pays latino-américains ont connu cette situation dans les années 1980 et s’en sont péniblement sortis par la hausse des exportations, la compétitivité accrue de leur industrie et une capacité à s’appuyer sur leur marché intérieur
La Grèce ne dispose pas de tels ressorts.
Elle fait partie de ces périphéries qui surréagissent aux fluctuations des centres dont elles dépendent. Quand le cœur de l’Europe était en croissance les périphéries méditerranéennes étaient en forte expansion économique. Quand l’Europe est rentrée en récession les périphéries méditerranéennes sont tombées dans une dépression plus forte encore.
L’économie grecque manque de moteur autonome et c’est bien en ce sens que ses difficultés ne peuvent trouver de réponse à court et moyen terme et que la sortie de l’Euro représenterait un risque majeur. L’industrie grecque est modeste : industrie automobile absente, textile en recul, faible engagement dans les technologies du numérique. L’agriculture est vieillissante, le tertiaire peu moteur.
Difficile dans de telles conditions pour la Grèce de trouver un levier de croissance. Le premier mal grec est la dépendance. Dépendance à l’égard des aides structurelles européennes qui ont longtemps soutenu l‘économie grecque, dépendance à l’égard des investissements étrangers, dépendance à l’égard du tourisme devenu secteur clef de la Grèce. En ce sens il y avait beaucoup de témérité à vouloir le Grexit et Tsipras lui-même a eu la sagesse de ne pas s’y risquer.
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Parallèlement il serait peu raisonnable pour le système financier international et pour l’Union de laisser se produire un Grexit. Comme toujours dans la finance internationale, les titres douteux –en l’occurrence la dette grecque- sont déjà dilués dans des titres obligataires complexes et ont également été démultipliés sur les marchés dérivés. La pyramide des dettes internationales est devenue un château de cartes et la France et l’Allemagne, au-delà des apparences, sont à peine plus solides que ceux qu’elles soutiennent. L’économie mondiale mal remise de la crise des subprimes, peut difficilement s’offrir le risque d’une nouvelle réaction en chaine.
Un possible redressement
La Grèce s’achemine peut-être vers un certain répit ,voire un lent redressement.
D’abord parce qu ‘elle a renoué avec la croissance en 2017.
Ensuite parce qu’elle est parvenue à équilibrer ses comptes publics et qu ‘elle dégage désormais un excédent budgétaire primaire (avant la comptabilité du remboursement des intérêts).
Enfin parce que l’avertissement a été donné à la finance internationale : les populations non seulement ne sont pas disposées au sacrifice sans conditions pour absorber les aberrations de la spéculation internationale mais sont aussi prêtes à la rupture tandis que l’ombre du Brexit plane désormais sur toute l’Europe. En bref, il parait probable, malgré les réticences de l ‘Allemagne à être la grande pourvoyeuse de fonds, que l’establishment financier international ait compris la leçon et que l’on s’achemine, vers une restructuration en profondeur de la dette grecque, car la dette n’est manifestement pas soutenable à un niveau de 180% du PIB. Paradoxalement c’est désormais le FMI qui, au vu de ce diagnostic, pousse l’Euro groupe à accepter la restructuration de la dette c’est-à-dire son rééchelonnement et son allègement
En réalité l’avenir économique de la Grèce reste incertain. Elle est enfermée dans le cercle vicieux d’un surendettement difficilement résorbable. Sur le court terme, la possibilité d’aller ou non au-delà de l’austérité est vital. Le retour de la croissance au cœur de l’Europe, la régulation de l’ordre financier international, les réaménagements de sa dette sont sur le moyen terme les conditions de son redressement. Sur le long terme la crise démontre qu’il lui faut inventer un nouveau modèle de croissance économique si elle veut redevenir maitresse de son destin.
copyright by ELEAD 09 05 2017
17 dates clefs pour comprendre la crise grecque | |
2000-2007 | La Grèce fait figure de périphérie dynamique de l’Europe, avec une croissance moyenne annuelle de près de 4, 5 % par an mais une balance commerciale très déficitaire, et une lourde dette publique de plus de 100 % du PIB |
2008 | la récession internationale touche la Grèce |
2009 | Le Pib recule de 5 % |
2009 | Le nouveau gouvernement socialiste de George Papandréou réalise une opération de mise en conformité de la comptabilité nationale grecque qui révèle un déficit public de 12,7 % du PIB, 3 fois supérieur aux chiffres officiels jusque-là présentés |
2010 | L’agence de notation Standard&Poors décote à deux reprises la note de confiance des titres émis par l’Etat grec, alertant du le risque d’un défaut de paiement |
2010 | Plan de sauvetage de l’Union européenne et du FMI qui prêtent à la Grèce 110 milliards d’euros, en contrepartie d’un plan d‘austérité renforcée |
2010 | L’union Européenne crée le FESF, le fonds européen de stabilité financière pour permettre le financement des pays européens en difficulté |
2010 | La mise en œuvre des programmes d’austerité déclenche de violentes manifestations et une crise politique majeure. Papandréou annonce un referendum qui provoque un tel tollé des créanciers qu’il en abandonne le projet et démissionne |
2011 | Restructuration de la dette grecque les banques privées créancières abandonnent 50 % de leurs créances sur la Grèce et sont recapitalisées par à hauteur de leur créances abandonnées par les états nationaux ou par des titres émis par le FESF |
2012 | La Grèce est accusée par ses créanciers de ne pas mettre en œuvre son programme d’austérité |
2013 | Entre 2008 et 2013 le PIB grec a été en récession chaque année et a reculé de 25 % e l’investissement a reculé de plus de 60 %, le chômage est passé de 8% à 27% |
Fin 2014 | Amélioration de la situation grecque : retour de la croissance, légère baisse du chômage, retour à l’équilibre des exportations de biens et services, déficit public ramené à 3,5% du PIB. L’économie grecque reste cependant sous perfusion et la dette a flambé sous l’effet des nouveaux prêts, passant à 180 % du PIB |
2015 | En janvier la gauche radicale Syriza remporte les élections législatives anticipées. Alexis Tsipras, le nouveau premier ministre dénonce la politique d’austérité imposée à la Grèce et entame un bras de fer avec la « troïka » des préteurs (le FMI, la commission européenne, le fonds européen de stabilité) |
2015 | Le 28 juin le gouvernement Tsipras ferme les banques, interdit les retraits supérieurs à 60 euros par jour, place la Grèce en défaut de paiement en suspendant un remboursement au FMI et anonnce un referendum éclair aupres de sa population sur le plan de redressement et d’austérité exigé par les créanciers |
2015 | 5 juillet le referendum rejette à 61 % le plan de la troïka |
2015 | Le 9 juillet alors que la rupture s’esquisse (sortie de l’euro, suspensions des remboursements) Tsipras fait volteface, se défait de l’aile la plus radicale de Syriza et accepte un accord avec créanciers pour éviter le saut dans l’inconnu . Le 20 aout Tsipras mis en minorité démissionne, provoque des élections anticipées qu ‘il gagne et revient au pouvoir muni d’une majorité qui lui permet d’appliquer l’accord signé avec les créanciers |
2015 | La Grèce sera renfloué par un nouveau prêt à l’Etat grec, étalé sur trois ans, d’un montant total de 86 milliards d’euros en échange d’un programme de réformes fiscales, de reformes du système des retraites et de libéralisation de l’économie. Dans l’immédiat un prêt d’urgence de 7 milliards est accordé pour pouvoir faire face au remboursement prochain |