Brexit et rejet des traités transatlantique et transpacifique. Le libre-échange serait-il en train de reculer ?

 

 

En l’espace de quelques mois un sérieux coup de frein a été donné à l’avancée du libre-échange qui semblait pourtant une tendance irrésistible depuis la seconde moitié du XX siècle

Tour à tour, le monde a assisté au Brexit puis au retrait des Etats-Unis du grand accord commercial transpacifique au moment où celui-ci était en train d’aboutir et à la préparation d’un enterrement de première classe pour le projet du  grand traité transatlantique. La volte-face est d’autant plus marquée qu’elle vient des deux pays anglo-saxons, chantres actifs du libre-échange depuis la fin de la seconde guerre mondiale

Le retrait des Etats-Unis du traité transpacifique

Donald Trump en avait fait l’un des arguments de sa campagne électorale. A peine assis au bureau de la Maison blanche l’un de ses premiers actes officiels a été de dénoncer le traité de libre-échange transpacifique. Le renoncement a été d’autant plus facile que l’accord signé par le président Obama n’avait pas encore été ratifié par le congrès et qu’il a suffi d’un trait de plume pour y mettre fin. Donald Trump considère que le traité menace les entreprises et l’emploi aux Etats-Unis. C’est la première traduction de son leitmotiv « America first » qui prétend donner en toute chose la priorité aux producteurs nationaux.

L’accord négocié depuis 2008 prévoyait une zone de libre-échange entre l’Australie, Brunei, Canada, Chili, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Pérou, Singapour et Vietnam. Il était original dans la mesure où il intégrait à la fois le Japon et l’Amérique du Nord ( Etats Unis,  Canada,  Mexique), des pays de la rive atlantique sud -américaine ( Chili et  Pérou), mais aussi des nouveaux pays industrialisés asiatiques (Brunei, la Malaise, Singapour, Vietnam) et des deux puissances de l’Océanie, l’Australie et la Nouvelle -Zélande. Cette zone commerciale concernait un tiers du PIB mondial et un tiers des échanges commerciaux de la planète.

La sortie des Etats-Unis met à mal un ensemble dont ils étaient la pièce centrale. Sur le long terme et au-delà du débat de fond sur les dangers du protectionnisme il n’est pas sûr que l’opération soit très fructueuse pour les Etats-Unis. En premier lieu parce ce que les onze autres pays vont probablement maintenir l’accord et que le trafic commercial devrait plutôt augmenter entre eux et se détourner des Etats-Unis. En second lieu parce que le traité avait été pensé par l’administration Obama comme un moyen de tenir en respect la Chine, laissée à l’écart. A peine les Etats-Unis avaient ils annoncé qu’ils quittaient le traité transpacifique que la Chine annonçait son intérêt pour créer une grande zone d’échange dans le Pacifique

Le grand traité transatlantique en suspend

Après une longue phase de négociation, les autorités européennes et les autorités américaines avaient lancé le principe d’un grand traité de libre-échange entre la communauté européenne et les Etats-Unis. Cet accord, nommé en anglais TAFTA, Transatlantic Free Trade Agreement est aussi connu sous le nom de Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP en anglais). Il était prévu qu’il aboutisse en 2017. Sa réalisation unirait en un seul marché l’Union Européenne et les Etats-Unis c’est à dire près de la moitié du PIB mondial

Le traité, négocié de manière plus technocratique que politique doit supprimer les derniers droits de douanes existants entre les États-Unis et l’Union Européenne, permettre l’harmonisation des normes entre les deux partenaires et faciliter les investissements de part et d’autre. Il vise aussi une libéralisation des marchés de services, un assouplissement des règles de l’investissement et une ouverture des marchés publics. Il est particulièrement impliquant par la création d’un grand marché agricole et par la volonté de s’attaquer aux barrières non tarifaires. Le traité comprend en outre la création d’un tribunal arbitral pour régler les différends entre les investisseurs et les Etats.

Un tel traité serait l’aboutissement de l’avancée mondiale du libre-échange, Mais l’heure n’est plus tout à fait aux enthousiasmes que pouvaient susciter hier les progrès du libre-échange

L’alliance avec les Etats-Unis inquiète les opinions européennes, tant elle paraît potentiellement source de nouvelles dérèglementations et d’un renforcement des firmes par rapport aux Etats. La mise en place de tribunaux d’arbitrage pour régler des différends entre les Etats et les entreprises a soulevé de vives controverses dans la mesure où elle remet fortement en cause la souveraineté des Etats.

La modalité fort discrète dans laquelle le traité a été couvé a fini par se retourner contre lui. Dénoncé des deux côtés de l’Atlantique par les courants altermondialistes ou souverainistes, il n’a en réalité pas trouvé beaucoup de partisans à l’heure où il était remis en cause. On voit mal aujourd’hui Donald Trump, partisan des restrictions commerciales, le proposer à un Congres a priori peu favorable au traité

Le coup de poignard à l’égard d’un projet peu populaire est finalement venu de la France elle-même qui a demandé, en aout 2016, à ses partenaires de mettre fin aux négociations.

Le traité transatlantique n’est pas tout à fait mort, il lui reste une petite chance de survie. Le parlement européen a voté le 15 février 2017 un accord tout à fait semblable entre l’union européenne et le Canada. Le traité du CETA Comprehensive Economic and Trade Agreement a fait moins de bruit que le traité transatlantique dans la mesure où le Canada est évidemment un partenaire plus modeste.

L’administration Trump ne semble pas complètement hostile au traité transatlantique dans la mesure où il a facilité les investissements réciproques entre Europe et Etats-Unis. L’Europe dégage un excédent commercial considérable avec les Etats-Unis et reste intéressée par les facilités commerciales que permet le traité. Par ailleurs la France avant de tourner casaque, avait donné, comme les autres membres, plein mandat à la commission pour négocier le traité de telle sorte que son rejet de 2016 est sans effet légal. Enfin il semble que si les négociateurs renonçaient à la création d’un tribunal arbitrant les conflits entre firmes et Etats, le traité pourrait être adopté directement par le Parlement européen, puisqu’ il relèverait de la catégorie juridique de « traité simple » c’est à dire ne remettant pas en cause la souveraineté des Etats. Dans le cas contraire il lui faudrait alors être soumis à chaque parlement national ce qui ne lui laisserait probablement qu’une mince probabilité d’adoption. Le CETA est lui aussi soumis à cette règle.

Le Brexit

Le 23 juin 2016, par un référendum proposé par l’ancien Premier ministre David Cameron, et adopté à une majorité de 51,9%, les britanniques ont décidé de quitter l’UE. Le résultat du referendum a provoqué la chute du premier ministre David Cameron instigateur du référendum mais finalement partisan du maintien au vu des concessions qu’il avait arraché à l’Union Il a été remplacé en juillet 2016 par Teresa May nouveau chef de file du parti conservateur.

Après consultation du parlement May a adressé à l’Union européenne le 29 mars 2017   la lettre officielle de demande de mise en œuvre de l’article 50 du traité sur l’Union européenne qui détermine la sortie d’un pays membre.

Le Royaume-Uni et les 27 autres pays membres de l’Union européenne ont désormais deux ans pour préparer la sortie effective du pays qui ne prendra véritablement effet qu’au 29 mars 2019
Le Brexit n’est pas fondamentalement dirigé à l’encontre du libre-échange. Il s’explique plutôt par la volonté des britanniques ne pas s’assujettir à des directives européennes considérées comme trop contraignantes en matière de règles sociales, de financement du budget communautaire, d’immigration.

Le Brexit s’inscrit dans la logique d’une stratégie très individualiste du Royaume-Uni à l’égard de l’Union Européenne. Le pays n’a jamais voulu faire partie de l’Euro, ni de l’espace Schengen. Il a souvent refusé des solidarités budgétaires et n’a pas participé au sauvetage de la Grèce. Son départ relève plutôt de la rupture de longues et pénibles fiançailles que d’un divorce.  Il n’en reste pas moins que la sortie du Royaume-Uni remet en cause l’avancée du libre-échange. L’Union Européenne, principale zone d’échange mondiale, s’en trouve diminuée.

Par ailleurs, les modalités des échanges commerciaux entre le Royaume et l’Union restent à déterminer. Les partisans d’un « hard Brexit » voudraient que ces échanges se ramènent aux strictes règles générales de l’OMC. Les adeptes d’un « soft Brexit » souhaiteraient que la sortie du Royaume-Uni ne concerne que les aspects non commerciaux. L’horizon est d’autant plus flou que l’article 50 du traité de Lisbonne obligerait le Royaume-Uni à une sortie totale, puis à l’adoption d’un nouveau traité d’adhésion partielle.

Au sein des pays industrialisés, l’opposition entre protectionnisme et libre échange se fond de plus en plus dans une opposition entre souverainistes et mondialistes. L’opposition d’intérêts surgit de plus en plus clairement, au-delà des idéologies diverses qui les cristallisent, entre des secteurs intéressés par l’ouverture et des secteurs menacés par celle-ci. En ce sens, le monde ouvrier s’oppose de plus en plus nettement à celui des cadres. Les actifs des secteurs industriels traditionnels s’opposent aux actifs d’un tertiaire marchand et de services supérieurs. Les secteurs marqués par le poids des importations s’opposent aux secteurs qui vivent des exportations. Le monde rural et celui des petites agglomérations s’oppose à celui des grandes métropoles

Les orientations commerciales restrictives ont été adoptées par deux pays en proie à de lourds déficits commerciaux (750 milliards de dollars pour les Etats-Unis, 50 milliards de dollars pour le Royaume-Uni), confrontés à de sérieux problèmes de compétitivité industrielle. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, puissances hier conquérantes, aujourd’hui concurrencées, les opinions publiques s’estiment désormais victimes de la mondialisation. A ce titre, il est logique que dans les deux vieilles démocraties capitalistes anglo-saxonnes, cette attente protectionniste d’une partie de l’opinion se soit traduite dans le jeu politique au point de conduire à ces apparentes ruptures. Il apparait cependant que les cibles principales des courants conservateurs anglosaxons sont les flux migratoires et non les flux financiers ou commerciaux

Le Brexit, l’enterrement des traités transpacifique et transatlantique ne constituent pas des faits isolés ou limités aux pays industrialisés. Ils participent d’une longue liste de tentatives paralysées ou avortées de création de zones d’échange et de coopération à l’instar de l’échec du partenariat euro-méditerranéen et de l ‘échec de la ZELA, la grande zone de libre échange qui aurait dû se constituer pour intégrer l’ensemble du continent américain.

Il serait pourtant prématuré de croire que le monde subit un retour au protectionnisme tel qu’il s’était manifesté par exemple à la fin du XIXème siècle ou à la suite de la crise de 1929. Il s’agit pour certains pays de temporiser son possible approfondissement plutôt que de faire véritablement machine arrière.  La tendance au libre-échange reste puissante, portée par la mise en œuvre des accords de l’OMC, les révolutions technologiques, l’orientation de plus en plus multipolaire de l’ordre mondial. En bref l’avancée du libre-échange semble subir plutôt un coup de frein qu’une remise en cause fondamentale

Copyright by Elead 10 05  2017 

By ELEAD Les douze dates clefs pour comprendre le traité transatlantique 
1948 Signature du traité du Gatt entre 23 pays industrialisés à économie de marché
1957 Traité de Rome
1994 Création de l’OMC, l’organisation mondiale du commerce
1994  Signature du GATS (General Agreement on Trade in Services) qui lance la grande libéralisation du marché mondial des services
1994 Entrée en vigueur du NAFTA North American Free Trade Agreement, (ALENA en français) qui lie le Mexique, le Canada et les Etats-Unis
1997 Le projet d’un accord international sur l’investissement AMI, destiné à libéraliser les flux d’investissements directs, mis sur pied par l’OCDE, avorte dans sa dernière étape
1998 Création d’ATTAC, l‘Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne : organisation altermondialiste hostile à l’avancée du libéralisme mondial
2001 Ouverture à Doha d’un nouveau cycle de négociations multilatérales internationales
2007 Création du conseil économique transatlantique organe de préparation et de négociation du futur traité
2010 Ouverture à l’instigation des Etats-Unis des négociations pour le TPP, destinée à signer un vaste accord de libre-échange dans la zone Asie- Amérique
juin 2013 Ouverture officielle des négociations pour le traité  transatlantique : le conseil européen donne mandat à la commission de Bruxelles pour négocier le traité
été 2014 Débats dans différents parlements nationaux sur l’opportunité du traité transatlantique
2016 La gouvernement français indique son opposition au traité .

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